- RUISDAEL (J. van)
- RUISDAEL (J. van)Salomon van Ruysdael et surtout son neveu Jacob van Ruisdael, l’un des plus célèbres paysagistes du XVIIe siècle, comptent parmi les plus illustres représentants d’un genre qui occupe une place toute particulière dans la peinture hollandaise.En 1604 parut à Haarlem le Schilderboeck de Karel van Mander, manuel que tout peintre hollandais du XVIIe siècle se devait de posséder. Chacun y empruntait largement vues théoriques et connaissances pratiques sur la peinture. Van Mander s’était inspiré de traités des théoriciens italiens du XVIe siècle, mais, étant avant tout hollandais, il a consacré un chapitre au paysage ; comme il était non seulement théoricien, mais aussi peintre, il savait qu’on ne pouvait plus faire abstraction du paysage comme genre particulier dans l’art hollandais. Dans son traité, Van Mander organise les activités du paysagiste. Quand il fait beau, celui-ci doit quitter la ville dès que les portes en sont ouvertes, pour observer l’éveil de la nature. La description de la nature qu’il donne alors est une des plus belles de la littérature hollandaise de la Renaissance; elle nous apprend que l’auteur a dû suivre plusieurs fois ses propres instructions. Cependant, plus Van Mander stimule ses lecteurs à représenter des sujets empruntés à la nature, plus sa description ressemble aux compositions que ses contemporains peignaient dans leurs ateliers, et dans lesquelles les détails observés à l’extérieur sont intégrés à un ensemble complètement inventé.Les fondateursCe ne fut que la génération d’artistes postérieure à Van Mander qui réussit à rendre avec un certain degré de vraisemblance le réel dans la peinture. C’est précisément cette apparence de réalité qui a attiré toujours tant de spectateurs devant leurs tableaux. Les maîtres de cette génération furent Esaias van de Velde (1590 env.-1630), Jan van Goyen (1596-1656) et Salomon van Ruysdael. (Salomon Jacobsz. van Ruysdael est né à Naarden vers 1600; en 1626, il devient membre de la Guilde des peintres à Haarlem, où il demeura jusqu’à sa mort en 1670. On connaît mal sa biographie; il semble qu’il ait mené l’existence d’un homme aisé, mais ce n’est vraisemblablement pas son art qui lui a procuré cette vie facile.) Mais quelles trouvailles relève-t-on dans l’œuvre de ces trois maîtres? Leurs précurseurs avaient eux aussi dessiné beaucoup de sujets d’après nature; comme leurs précurseurs, ils transformaient dans leurs ateliers leurs études d’après nature en compositions dénuées d’exactitude topographique. Cependant, si l’on compare un tableau datant de 1600 environ à un tableau de Van Goyen, la différence, immédiatement perceptible, réside dans l’intention avec laquelle la composition d’atelier est constituée. Si les artistes du premier quart du XVIIe siècle veulent animer leurs compositions de fantaisie en y ajoutant de nombreux détails naturalistes, la génération de 1630 cherche à retrouver dans chacune de ses esquisses un peu de la quintessence de la nature hollandaise et elle essaie de réaliser dans chaque œuvre une synthèse de ces impressions. Tel paysage de Salomon van Ruysdael (Vue de l’église de Herwen , Mauritshuis, La Haye) semble presque un instantané, une photo prise d’un bateau semblable à celui qui navigue à quelque distance du spectateur. En réalité, le peintre a très soigneusement construit son image avec un jeu subtil de diagonales: la rivière, l’arbre, les nuages.Dans des ouvrages antérieurs, Salomon van Ruysdael et Jan van Goyen ont employé ces diagonales avec plus d’insistance, pour donner de l’appui à la composition et en même temps pour accroître l’effet de profondeur. Dans le tableau mentionné ci-dessus, œuvre plus récente, les diagonales apparaissent moins nettement; l’effet de profondeur est souligné par la succession de lignes horizontales très rapprochées, constituées tour à tour de formes claires et foncées. Le bac qui traverse calmement la rivière renforce l’impression de paix. Le lent voilier essaye de capter le moindre souffle de vent; il évite ainsi la perspective trop appuyée d’une vue libre sur la rivière. Dans la composition, la grande voile forme un équilibre parfait avec le groupe d’arbres du premier plan. La lumière est voilée par les nuages; les couleurs sont éteintes, bien que la monochromie soit encore plus forte dans les tableaux antérieurs de l’artiste.Les chefs-d’œuvreJacob Isaacksz. van Ruisdael était le fils d’un frère de Salomon. Il naquit à Haarlem et devint en 1648 membre de la Guilde des peintres de cette ville. En 1657, il déménagea à Amsterdam où il demeura jusqu’à sa mort en 1682; il fut enterré à Haarlem. On suppose que, pendant les dernières années de sa vie, ce peintre a été moins actif et que c’est lui le Van Ruisdael qui a soutenu en 1676 une thèse de doctorat en médecine à Caen. Comme son oncle, il semble avoir été assez fortuné. On peut admettre que le premier maître de Jacob Isaacksz. fut son père, de qui l’on ne sait cependant presque rien. Son oncle Salomon a peut-être été son deuxième maître, comme le suggèrent quelque peu les tableaux de sa jeunesse. L’influence de Cornelis Vroom (1590 ou 1591-1661), un peintre de forêts qui occupait une place à part au milieu de ses concitoyens, fut plus importante pour la formation de Van Ruisdael. Pendant sa jeunesse, Vroom fut marqué par l’œuvre d’Elsheimer, plus tard par celle de Ruisdael, alors que celui-ci avait subi lui-même l’influence de son aîné.Le célèbre Moulin de Wijk près de Duurstede fut peint vingt ans environ après la Vue de Herwen de Salomon van Ruysdael et vingt ans après le commencement de l’activité indépendante de Jacob van Ruisdael. Dans ses tableaux, qui datent de leur meilleure époque, les deux maîtres révèlent leur vision de la nature hollandaise; il est surprenant de voir des sujets aussi voisins traités avec une telle différence. Comme Salomon van Ruysdael, Jacob van Ruisdael a dessiné beaucoup de sujets d’après nature; il est certain que son moulin de Wijk bij Duurstede représente assez fidèlement la réalité. Mais aucun des deux paysages n’offre un enregistrement objectif de la situation donnée. Cependant, ce qui était chez Salomon ensoleillé, charmant et calme est, dans l’œuvre de Jacob, ample et d’une extrême tension. La perspective, qui est construite librement à l’aide de diagonales et d’horizontales, et l’absence de formes élancées au premier plan renforcent l’immensité du paysage fluvial. L’horizon étant un peu élevé, une plus grande surface d’eau est visible; le peintre (et le spectateur) se trouve à un endroit légèrement surélevé. Dans cette immensité se dresse le moulin majestueux, qui dépasse les arbres et les bâtiments qui l’entourent. Il est tourné vers un ciel plein de nuages lourds qui viennent lentement vers lui. Il est tourné vers un ciel plein de nuages lourds qui viennent lentement vers lui. Des contrastes de lumière inattendus se produisent grâce à un coup de soleil qui joue sur le tableau.Parfois la Hollande que peint Van Ruisdael est plus riante, par exemple dans les chaumières à Egmond aan Zee, chaumières qui sont blotties autour d’une église à demi délabrée, dans ses vues d’Amsterdam ou ses panoramas avec une vue de Haarlem. Les mêmes nuages lourds de fin d’été du Moulin de Wijk près de Duurstede flottent au-dessus de Haarlem, la ville qu’on voit au loin. Saint-Bavon, la vieille cathédrale de cette ville industrielle, a des proportions colossales; les maisons sont, au contraire, minuscules. Le spectateur se tient au-dessus des dunes, et entre lui et la ville il n’y a que la plaine. La distance est suggérée, non pas construite; des deux côtés, rien n’arrête le regard. On connaît aussi quelques paysages d’hiver, quelques vues de rivières et quelques marines de Ruisdael. Sur ses plages, par exemple celle de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, il fait le plus souvent un temps d’août suffocant, et les personnages distingués se promènent nu-pieds dans les ondes. Au pays de Ruisdael les hivers sont généralement rudes et sombres, ce qui paraît par exemple dans le tableau de la Bayerische Staats Gemälde Sammlungen.Cependant, dans la plupart de ses tableaux, Ruisdael n’évoque pas la Hollande, mais des régions lointaines aux bois touffus, aux rivières agitées et aux cascades écumantes. Ce pays n’existait que dans l’imagination de Van Ruisdael. Ceux qui s’attachent aux détails reconnaissent dans ses œuvres quelques éléments inspirés des dunes près de Haarlem, de la zone frontière entre la Hollande et l’Allemagne, et d’autres régions, qui n’intéressent que les peintres et les chasseurs.Le nouveau styleL’œuvre de Van Ruisdael ne permet pas de penser qu’il se soit jamais très éloigné des frontières hollandaises (le voyage de Caen aurait eu lieu après son apogée artistique). Il ne semble pas qu’il soit allé en Italie; Van Ruisdael a connu les cascades des pays scandinaves par l’œuvre de son confrère Allaert van Everdingen (1621-1673), qui s’établit à Amsterdam en 1657 et qui avait été quinze ans auparavant en Suède. Il ne faudrait pas croire que l’art hollandais était revenu, après une période de réalisme sobre, à des pratiques antérieures à Jan van Goyen et à Salomon van Ruysdael. L’impression d’unité et de vraisemblance qui avait caractérisé les paysages réalistes peints vers 1640 se retrouvait dans les paysages imaginaires de la seconde moitié du siècle. Surtout, le nouveau goût pour les espaces étendus, la lumière et l’atmosphère n’avait pas abandonné les peintres du troisième quart du XVIIe siècle, bien que ces peintres eussent renoncé aux motifs réalistes par lesquels il aurait pu se manifester pour la première fois.Ce qu’il y avait de nouveau, c’était la possibilité de représenter sous des cieux orageux ou dans la lumière du soleil d’été des contrastes de lumière plus accusés. Les peintres abandonnent la monochromie pour des couleurs plus vives, non seulement dans les personnages, mais aussi dans le vert foncé des arbres, le bleu du ciel, le blanc des nuages et le sol sablonneux. Les maîtres du troisième quart du siècle, et en particulier Ruisdael, aimaient les effets de contraste entre les objets volumineux (groupes d’arbres ou bâtiments) et les espaces étendus: Le Moulin de Wijk près de Duurstede en est un exemple remarquable. Parfois le peintre inverse la composition et entoure un espace vide de bois touffus. Souvent Ruisdael choisit comme thème une lisière de forêt, où le bois et la plaine forment encore une autre sorte de contraste.La distance qui sépare cette génération de la précédente semble inexplicablement grande. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y avait à côté de Jan van Goyen et de Salomon van Ruysdael des peintres qui s’adonnaient aux paysages imaginaires. Un seul les égalait: Hercules Seghers (1589 ou 1590-env. 1638). En outre, vers 1650 des changements d’importance comparable intervinrent dans les différents domaines de la peinture hollandaise. Les peintres d’architecture et de genre étaient les mieux préparés à cette rénovation; venaient ensuite les portraitistes et les peintres de nature morte. Quant aux paysagistes, il existait déjà dans la première moitié du XVIIe siècle un groupe de peintres qui avaient une prédilection pour les violents effets de lumière, les ciels bleus et clairs et les personnages aux vêtements bariolés dans une nature aux couleurs gaies. C’étaient les italianisants, paysagistes qui avaient reçu leur formation en Italie et qui, après leur retour en Hollande, continuaient à employer des motifs italiens dans leurs tableaux. Il est souvent difficile de savoir si ces peintres ont voulu représenter dans leurs œuvres la campagne romaine ou l’Arcadie mythologique: dans les deux cas ce sont les mêmes bergers, les mêmes paysans insouciants. Les italianisants formaient d’abord un groupe un peu isolé; après le retour de Jan Both (1615 env.-1652), en 1641, il y eut de plus en plus de contacts entre les peintres de motifs hollandais et ceux qui peignaient des motifs italiens.L’énumération des divers genres de paysages qu’on rencontre chez Ruisdael ne suit pas le déroulement chronologique de l’œuvre. De toute façon, on ne peut reconstruire cet ordre qu’avec beaucoup de peine, car, après avoir trouvé son style personnel, le peintre n’a plus beaucoup évolué. En outre, il n’y a que quelques tableaux qui sont datés. On place en général les grandes cascades après le déménagement de Van Everdingen de Haarlem à Amsterdam. On a coutume de placer les tableaux moins bien venus à la fin de la carrière du peintre. Quant à l’influence de Salomon van Ruysdael et de Cornelis Vroom, on la décèle dans les tableaux de jeunesse de Jacob.Le «romantisme» de Jacob van RuisdaelLe plaisir de contempler les créations de Ruisdael est souvent accru si l’on sait situer ce peintre à sa vraie place parmi ses contemporains. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il est en effet nécessaire de préciser ce que nous entendons par le mot «romantique» quand nous tenons Ruisdael pour un peintre romantique. Les paysages hollandais du XVIIe siècle ont eu une grande influence sur les paysages du XIXe siècle, ère du romantisme. Et le romantisme a interprété l’art du XVIIe siècle d’une façon qui détermine encore sensiblement la manière dont nous voyons Ruisdael et ses contemporains. L’essai de Goethe sur Le Cimetière juif , tableau qui se trouve au musée de Dresde, a pour ainsi dire créé un nouveau Ruisdael. Mais, chose remarquable, Le Cimetière juif est justement la seule allégorie baroque qu’on puisse désigner dans son œuvre (une autre version se trouve à Detroit). Ruisdael avait dessiné avec exactitude ce cimetière inculte, selon la coutume juive. L’artiste a interprété ce motif comme une allégorie de la fragilité de la vie terrestre. Ainsi, il a adapté ce tableau à une tradition très répandue aux Pays-Bas, suivant laquelle on représente une allégorie de la Vanité sous une forme empruntée à la vie de tous les jours. Les ruines soulignent cette signification et la nature s’y adapte. Le temps qui détruit tout, qui efface même la mémoire, n’est pas un vieillard portant une faux, mais une rivière qui érode, qui sape les monuments des générations antérieures. Que la nature elle-même soit soumise aux lois du temps et de la mort, les arbres morts et brisés du premier plan l’attestent clairement. Les nuages et la lumière s’adaptent au motif central, mais la mort, omniprésente, est vaincue; l’arc-en-ciel, clavis interpretandi de ce tableau, renvoie à cette vérité de foi.Les hommes du XVIIe siècle étaient certainement capables de reconnaître (ou de projeter) dans la nature leurs propres états d’âme. Le poème cité du Schilderboek de Karel van Mander en est une des nombreuses preuves. Mais les gens de ce siècle n’attribuaient jamais à la nature une vie propre, comme le feront les artistes du XIXe siècle. Contrairement aux romantiques, ils considéraient leurs émotions comme inférieures aux enseignements de la raison, de la tradition et de la foi.Déjà de son temps, Jacob van Ruisdael eut beaucoup d’imitateurs. Les noms de la plupart ne sont connus que du petit cercle des historiens d’art spécialisés, à l’exception de celui de Meindert Hobbema (1638-1709) qui a été, vers 1660, l’élève de Ruisdael et qui travailla à Amsterdam jusqu’à sa mort. Chez Hobbema, le choix des thèmes est plus restreint: il est moins inventif dans ses compositions que son illustre maître. L’agencement décoratif de nombreux motifs lui permet rarement de rivaliser avec les espaces impressionnants de Ruisdael. Chaque tableau de Ruisdael a une atmosphère différente; dans chacun le peintre semble traduire une expérience personnelle par les solutions qu’il apporte aux problèmes artistiques de composition, d’espace, de couleur et de lumière.
Encyclopédie Universelle. 2012.